Extrait de "Guérir la civilisation" par Claudio Naranjo



Le cœur de notre problématique est la dégradation de la conscience survenue à l’aube de la civilisation. Elle a entraîné la perte d’intégrité de notre esprit dû à une folle hégémonie de notre cerveau rationnel, au détriment de notre capacité empathique et de notre sagesse instinctive.
 

De ce fait, rien ne peut être aussi important que la guérison de la conscience individuelle. En d’autres termes, il faut favoriser le développement psychique et spirituel de la population.

Il serait souhaitable que les gouvernements décident de porter leur attention au développement psychique et spirituel qui n’a pas été alimenté de façon adéquate jusqu’à présent. Son asphyxie n’a fait que s’intensifier, parallèlement à l’aliénation croissante des parents, dévorés par leur lutte pour la survie et par un marché toujours plus esclavagiste. 

A la lumière de ce phénomène moderne, l’importance de la croissance et de la guérison intérieure pourrait pousser un gouvernement hypothétiquement sage et libre à fournir à ses citoyens suffisamment de temps, en les libérant un instant de l’obligation de gagner leur vie « à la sueur de leur front ». 

Ce temps serait destiné à simplement être, grandir et partager.

Pourtant dans un système qui subordonne la vie au profit, et qui soumet toutes les valeurs à une analyse du rapport coût/bénéfices, nous pouvons imaginer quel accueil les bureaucrates et les politiciens réserveront à cette proposition. […]

La soif métaphysique qui est naturelle chez les enfants et les adolescents a également disparu chez de nombreux adultes. La culture a interprété cette soif naturelle de croissance comme une simple recherche d’amour, de prestige ou de sécurité, qui semblent plus facile à obtenir que l’épanouissement spirituel. D’ailleurs, pour quelqu’un dont l’esprit est éteint ou flétri, le temps de loisir est plutôt perçu comme une torture. […]

 

« Tout le malheur des hommes vient d’une seule chose :   ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre »  (Pascal)

 

Aujourd’hui, l’incapacité des gens à être en paix avec eux-mêmes et à savourer leur existence engendre des problèmes personnels et sociaux. Les gens ne savent plus que faire de leur liberté. Ils consacrent une bonne partie de leur temps et de leur argent à la consommation et au divertissement, qui contribuent si bien à les éloigner de la conscience de leurs ressentis et de leurs pensées véritables. […] Les intérêts du marché prévalent sur ceux des personnes. 

Quand sont apparus les hôpitaux, la charité s’est faite rare. Quand les entreprises de construction sont nées, les gens ont arrêté de construire leur propre maison.

 

Claudio NARANJO 

Extrait de : « Guérir la civilisation » (Editions Ecce)